Nous remercions Priscille DOUINE, psychologue clinicienne (EPP ) pour ce travail réalisé.


         La situation sanitaire actuelle est une situation inédite et traumatogène qui peut provoquer des symptômes de stress post-traumatique. En effet, la crise liée à cet agent pathogène nous confronte directement à la mort, celle des autres et la nôtre. Cela engendre une rupture avec le sentiment d’immortalité que nous avons tous et crée ainsi une intense sensation de fragilité. 

Le confinement peut être vécu comme une privation de liberté. C’est encore plus compliqué pour le peuple français par nature peu discipliné (passé de révolutionnaire). Restreindre sa liberté individuelle pour le bien-être collectif peut apparaître compliqué à appliquer dans notre société plutôt individualiste. 


Les facteurs de stress

Les diverses études, sur la population en Chine notamment, ont démontré les facteurs de stress suivants :

  • La privation pour l’être humain des interactions sociales : l’être humain est un être social par nature et a besoin de ces liens pour avoir un équilibre psychologique.
  • Le manque de mouvement : le corps a besoin d’être en action. 
  • La peur des autres et pour les autres, accentuée en cas de grossesse ou de présence de jeunes enfants dans l’entourage. 
  • La souffrance de la solitude : l’inquiétude d’être seul, le sentiment d’être abandonné, même s'il est atténué par les nouvelles technologies.
  • La perte des repères habituels : fin du rythme régulier du travail et de l’école, des habitudes de vie (le café au bar, etc.).
  • L’inquiétude d’être envahi dans un espace réduit. 
  • La frustration et l'ennui.
  • La peur de manquer des fournitures de première nécessité (dont le papier toilette apparemment).
  • L’inadéquation des informations transmises par les autorités de santé concernant les bonnes pratiques.
  • L’angoisse des conséquences économiques, particulièrement importante chez les travailleurs indépendants.
  • La précarisation encore plus grande des personnes déjà fragiles sur le plan économique. 
  • Les tensions dans les couples. 


Les conséquences : 

Tous ces facteurs créent une forte charge émotionnelle très difficile à gérer, que tout un chacun va ressentir et vivre avec une intensité plus ou moins grande. Ce stress peut être la source de différentes réactions :  

  • Le déni : lié à l’angoisse de la mort. Le cerveau annule la notion de dangerosité impensable (par exemple : continuer à sortir etc.).
  • La fatigue émotionnelle. 
  • Les troubles du sommeil (difficulté à s’endormir, cauchemars, réveils nocturnes, ruminations).
  • Une forte anxiété et une préoccupation permanente concernant l’avenir.
  • La colère et l’irritabilité.
  • L’altération du jugement, notamment face aux informations : certains ne parviennent plus à garder une juste distance et un esprit critique. 
  • Les troubles de l’humeur, telle que la dépression jusqu’au risque suicidaire.
  • La tendance à l’hypocondrie, majorée si quelques symptômes similaires apparaissent…. 
  • L’abus de médicaments.
  • L’augmentation des violences conjugales, des maltraitances à l’enfant et des incestes.

Au bout d’un moment, on observe une réorganisation de l’espace et du temps et l’émergence de nouvelles façons d’appréhender son quotidien. 


Les facteurs de risque : 

On a tous notre façon de réagir, de façon plus ou moins vive et la vivacité de nos réactions dépendent de différents facteurs : 

  • L’exposition à l’épidémie (réelle ou ressentie).
  • Les expériences antérieures d’évènements stressants. 
  • Le soutien de l’entourage, qui manque beaucoup aux personnes isolées dont la seule relation sociale était avec les commerçants.
  • La santé physique : les craintes quant à sa propre santé peuvent être accentuées, soit dans l’inquiétude de tomber malade, soit dans la mise à mal du suivi médical pendant cette période.
  • L’âge : si la personne est dans l’âge considéré comme  le plus « à risque ».
  • Les antécédents personnels de troubles liés à la santé mentale : tendance à l’hyper anxiété, à l'hypochondrie, à la dépression.
  • Les modalités de logement : appartement, maison, extérieur…


Les cas spécifiques

  • Les enfants 
    • Les manifestations du stress chez les enfants sont légèrement différentes de celles des adultes : 
    • Pleurs, irritabilité excessifs
    • Enfants plus « collants », agités, anxieux, colériques ou évitants
    • Retour du « pipi au lit »
    • Irritabilité et impulsivité chez les adolescents ;
    • Difficultés d’attention et de concentration ;
    • Evitement des activités qui jusque-là leur faisaient plaisir ;
    • Maux de tête ou douleurs corporelles inexpliqués ;
    • Usage d’alcool, de tabac ou d’autres drogues.

Comment réagir : 

  • Prenez du temps pour parler de l’épidémie de Covid-19 avec eux, même aux tout-petits car sans comprendre, ils sont de véritables éponges émotionnelles. 
  • Répondez à leurs questions de manière factuelle et compréhensible ;
  • Rassurez-les sur le fait qu’ils sont en sécurité ;
  • Partagez avec eux vos stratégies pour faire face à votre propre stress, afin qu’ils apprennent de vous ;
  • Limitez l’exposition de votre famille aux couvertures médiatiques ; discutez avec vos adolescents des informations qu’ils reçoivent. 
  • Essayez de mettre en place et de maintenir des routines, notamment des horaires pour les activités scolaires à la maison et pour les loisirs de vos enfants ;
  • Aidez-les à être créatifs, ce qui leur permettra d’exprimer leurs émotions, comme la peur ou la tristesse : le jeu, le dessin etc. 
  • Maintenez les contacts avec les amis et les membres de la famille.


  • Les personnes âgées et les personnes handicapées mentales

Le vécu de la situation par les personnes âgées et les personnes handicapées mentales peut être différent en fonction des  facteurs nommés ci-dessus, mais aussi de leurs compétences cognitives et donc de leurs capacités à comprendre la situation et à traiter l’angoisse. Elles peuvent ainsi devenir plus anxieuses, stressées, agitées ou présenter des comportements de retrait. Elles auront d’autant plus besoin de soutien pratique et affectif. 

Il est nécessaire de leur apporter une information simple sur ce qu’il se passe et sur les moyens de réduire le risque infectieux. Ces informations devront être répétées aussi souvent qu’il le faut. Un support écrit et graphique peut parfois être utile. 

Les familles des personnes placées ou bénéficiant d’aides à domicile ont l’angoisse d’une déchéance psychosomatique, et notamment d’une aggravation de leur pathologie lors de maladies neurodégénératives. De même, la mise en quarantaine rapide des EHPAD n’a pas permis aux familles de dire au-revoir à leur proche et la crainte de ne plus les revoir est massive.  Les familles craignent aussi que dans l’urgence de la situation, les soignants n’aient plus le temps d’être présents psychiquement pour les patients, ce qui risque d’augmenter les troubles de l’humeur. 


  • La quarantaine « officielle »: 

Lorsque la maladie a été dépistée officiellement chez une personne, l’annonce et la quarantaine totale induite, ajoutent des vécus spécifiques :

  • Un sentiment de rejet, de stigmatisation : être celui à éviter ou par qui le mal arrive. 
  • Un sentiment de culpabilité : ne pas avoir pris les mesures nécessaires, avoir potentiellement infecté d’autres personnes. 


Le décès pendant cette période

Les personnes malades qui s’aggravent sont hospitalisées et leur famille ne peut plus les voir. Dans certains services de réanimation débordés, la famille ne reçoit même plus aucune information quant à leur état de santé et est seulement informée de leur sortie de réanimation ou de leur décès. Les soignants n’ont plus aucune disponibilité pour assurer ce temps d’information. Ce contexte est d’une violence inouïe pour les malades et leurs familles. Surtout quand la personne était déjà placée au préalable et que la famille n’a pas pu la voir depuis de nombreuses semaines. 

A cela s’ajoute l’impossibilité pour les familles d’être présente pour les obsèques. En effet, seuls les membres au premier degré sont autorisés pour le moment. 

Ce « non-accompagnement » lors de la maladie, du décès et des funérailles risque d’avoir des répercussions psychologiques majeures dans le traitement du décès par les membres de la famille et de favoriser l’émergence de deuils pathologiques. Il faudra proposer aux familles, après le confinement,  un temps de recueillement et une cérémonie, pour organiser malgré tout ce temps de recueillement si nécessaire au deuil. 

Pour les soignants qui accompagnent les malades, cette absence d’information aux familles, ce temps de soins qui ne permet plus l’installation d’un rapport humain, mettent à mal leur manière- même de percevoir leur métier. Les risques de burn out ainsi que de stress post traumatique sont accrus par cette confrontation récurrente à la mort. 


L’impact de la durée : 

Les effets de la mise en quarantaine tendent à s’aggraver au bout du cap d’une dizaine de jours de confinement. Nous n’en sommes donc qu’au début ! En effet, le maintien d’un niveau d’anxiété élevé et constant épuise nos ressources psychologiques, d’autant plus quand il n’y a pas de fin précise. 

De même, ces ressentis peuvent se poursuivre même après la fin du confinement, sur quelques semaines. 


Prise en charge

Pendant toute la durée du confinement, et par la suite, si le mal-être psychologique est trop important, les personnes peuvent se tourner vers un lieu d’écoute ou un psychologue pour parler de leur vécu des évènements, exprimer leur émotion et faire part des pensées négatives qui leur viennent. 

  • Des cellules d’écoutes 
  • Des psychiatres et psychologues libéraux : une majorité propose un soutien psychologique par voie téléphonique ou vidéoconférence. 


Conseils pour rester serein :  

  • Rester en lien avec ses proches grâce à toutes les technologies actuelles. 
  • Participer aux groupes de soutien et d’échange sur ses ressentis liés à l’expérience du confinement.
  • Valoriser nos mouvements altruistes. 
  • Eviter de se projeter dans des scénarios catastrophe : ce n’est pas le moment de regarder « Contagion » ! 
  • Faire le maximum pour mettre à distance les pensées négatives, tout en restant malgré tout vigilant et alerte : s’informer sans entrer dans la boucle anxyogène des informations permanentes, qui ne permettent plus la prise de recul des informations et amène à des pensées dysfonctionnelles qui nourrissent nos angoisses. 
  • Limiter les sources d’informations, éviter les fake news.
  • Se rassurer avec les informations avérées des autorités sanitaires : plus de 80% des cas sont bénins ! Les chercheurs travaillent sur un vaccin, des thérapies etc. 
  • Accepter l’incertitude.
  • Accepter le vécu d’anxiété normal lié à cette situation : écrivez ces pensées, partagez-les. Cela permet de mieux les apprivoiser. Les conduites d’évitement n’ont qu’un effet temporaire, et l’angoisse risque de revenir de façon plus accrue. 
  • Se faire confiance : faire confiance en sa capacité de résilience, l’être humain peut faire preuve de beaucoup d’imagination et de capacité d’adaptation ! On a tendance à surestimer la gravité de la situation et à sous-estimer nos capacités à faire face.
  • Prendre soin de soi : le stress et l’épuisement diminuent notre système immunitaire alors que le bien être mental le renforce : yoga, relaxation, siestes, chacun son choix !  


SOURCES

Catherine Tourette-Turgis (Directrice du Master en éducation thérapeutique à Sorbonne Université, Chercheure au CNAM, Sorbonne Université): 

« Covid-19 : point par point, des recommandations d’experts pour réduire les effets psychologiques négatifs liés au confinement », The conversation  

https://theconversation.com/covid-19-point-par-point-des-recommandations-dexperts-pour-reduire-les-effets-psychologiques-negatifs-lies-au-confinement-133811?fbclid=IwAR0YIN5VicZ5I8eakJK3Cl5CLDb7AhIr-QipQDx7i-6wTzIn8WYODL3jxQA


Johanna Rozenblum (psychologue) : « Psychose autour du coronavirus : comment ne pas céder ? », le journal des femmes

https://sante.journaldesfemmes.fr/maladies/2623593-epidemie-coronavirus-psychose-effets-psychologiques-anxiete/


Jelena Kecmanovic (Adjunct Professor of Psychology, Georgetown University) : « Psychologie : Sept stratégies pour gérer l’anxiété liée au coronavirus » , The Conversation

https://theconversation.com/psychologie-sept-strategies-pour-gerer-lanxiete-liee-au-coronavirus-133851


Eleonore Sole (Rédactrice scientifique) : « effets psychologiques du confinement », Futura science. 

https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/confinement-confinement-effets-psychologiques-humain-80081/


Serge Tisseron (Psychiatre) : « Coronavirus. Le confinement, l’occasion de partager le temps d’écran entre parents et enfants », Ouest France. 


Interview d’Hélène ROMANO, psychologue, C NEWS


The Lancet : « The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence »


World Health Organization : « Mental Health and Psychosocial Considerations During COVID-19 Outbreak »


Recommendations de l’OMS.